Le blog de Bachir Sylla

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Suppression des subventions aux carburants et à l’électricité : Une pilule dure à avaler pour les ministres africains de Finances

La proposition du Fonds monétaire international de voir réformées ou même supprimées les subventions à l’énergie (carburants et électricité) se heurte à une hostilité de la part de certains ministres africains des finances, dont le Guinéen Kerfalla Yansané. C’est le constat qui se dégage du séminaire ministériel que le Département Afrique du FMI  a organisé, le 11 octobre dernier, à Tokyo, lors de ses assemblées annuelles avec le groupe de la Banque mondiale, autour de cette problématique.

A l’entame dudit séminaire, Mme Antoinette Sayeh, la directrice de ce Département avait pourtant pris soin de prévenir les séminaristes que les réformes envisagées par son institution visent à aider l’exploitation du potentiel de croissance de la région. Compte tenu du caractère épineux de la question, elle a indiqué que les discussions allaient être ouvertes pour permettre aux différents ministres de donner la position de leurs pays respectifs afin que les résultats du séminaire puissent aider à peaufiner l’étude du Fmi qui sera présentée à la fin de l’année en cours. Sur ce, Mme Sayeh a donné la parole à son adjoint, Roger Nord, qui a présenté la synthèse de ladite étude portant les « Subventions au carburants et à l’électricité en Afrique subsaharienne : pourquoi importe-t-il de les réduire, en quoi est-ce difficile et quelle est la meilleure façon de procéder ? ».

Les conclusions de l’étude sont sans équivoque. Les subventions énergétiques, déplore-t-elle, continuent d’absorber une grande part des maigres ressources publiques en Afrique subsaharienne et que  la production d’énergie et les niveaux d’accès dans cette région restent nettement inférieurs à ce qui est observé dans d’autres pays à faible revenu. Selon les auteurs de l’étude, les subventions énergétiques créent deux types de problèmes. D’abord, elles sont mal ciblées. Parce que,  bien que profitant à toutes les couches sociales, les principaux bénéficiaires en sont les classes aisées. Ensuite, les subventions ont souvent des effets dissuasifs sur l’entretien et l’investissement dans le secteur énergétique, perpétuant ainsi les pénuries et les faibles niveaux d’accès. Tout cela fait que le Fmi préconise des « réformes essentielles », afin de permettre de tirer meilleur parti des ressources budgétaires en faveur des populations pauvres et des dépenses d’investissement, et pour faciliter la croissance de la production d’électricité. Mais, les auteurs de l’étude avouent que ces réformes seront difficiles à mener, car il faudrait arriver à convaincre la population que « les avantages qu’elle peut tirer du déploiement des  dépenses publiques dépasseront les pertes issues de la suppression des subventions ». D’où, estime-t-on, la nécessité de centrer les réformes sur l’élaboration d’un ensemble de mesures crédibles, pouvant susciter un appui en faveur desdites réformes.

En dépit de la justesse des arguments avancés dans l’étude, certains ministres ont trouvé à redire. C’est le cas du Guinéen Kerfalla Yansané, qui a déconseillé de verser dans les raisonnements doctrinaux et de faire un lien de causalité entre les subventions à l’énergie et le manque de compétitivité des entreprises en Afrique subsaharienne, tel que souligné dans l’étude. Selon lui, dans un contexte dur comme celui de la Guinée, caractérisé par  des taux élevés d’inflation et de pauvreté, il est difficile d’appliquer la vérité des prix sur les carburants et l’électricité. Surtout, affirme-t-il, que la société nationale d’électricité (EDG) était au bord de la faillite et que la junte militaire qui a dirigé le pays pendant deux ans, au lendemain du décès du Général Lansana Conté, en décembre 2008, avait procédé à des diminutions des tarifs pour charmer la population. Le ministre Yansané a reconnu volontiers que son ministère est redevable à EDG et à la population en générale, mais estime imprudent de procéder à des changements brutaux avec les syndicats en augmentant les tarifs.

Cette crainte du ministre guinéen a été partagée par certains de ses homologues africains, dont la plupart ont avancé les implications politiques et sociales de la suppression des subventions à l’énergie, qui entraineraient inévitablement la hausse des prix à la pompe et les factures d’électricité.

Pour le ministre burkinabè des finances, la suppression des subventions doit obéir à une démarche complexe qui impose de recourir à des éléments de transition pour atténuer les chocs. Le Tanzanien, lui, n’a pas tourné autour du pot, en évoquant la connotation politique des subventions à l’énergie. « Il faut être très attentif au moment et au rythme de leurs éliminations », a-t-il suggéré, avant de faire cas des graves problèmes de gouvernance des compagnies d’électricité en Afrique.

Le ministre gabonais a pris les auteurs de l’étude à contre-pied en affirmant que leur travail ne prend en compte que des éléments partiels, qu’ils ont fait un amalgame entre les pays producteurs et non producteurs de pétrole. Il dit, par ailleurs, ne pas voir la corrélation négative qui pourrait exister entre les subventions à l’énergie et la baisse des dépenses publiques dans les secteurs sociaux tels que l’éducation ou la santé, comme le prétend l’étude.

Les solutions alternatives

Parmi les ministres autour de la table, il y en avait, par contre, qui étaient favorables à la suppression des subventions. Mais à certaines conditions. « Il faudrait concilier les besoins des populations vulnérables et la rentabilité des compagnies nationales d’électricité et de diversifier les sources de production » a estimé le ministre kenyan des Finances. Lequel a expliqué que, dans son pays, l’Etat procède à l’élimination des subventions directes, celles qui profitent aux plus aisés. A cela s’ajoute la création d’une autorité d’électrification rurale pour faciliter le raccordement à l’électricité des zones rurales abritant des groupes de plus de 30 ménages.

Le ministre camerounais a suggéré une campagne de communication pour résoudre les problèmes de perception des populations qui, dans son pays, verraient toujours derrière les augmentations de prix du carburant un dictat de l’étranger, notamment du Fmi et de la Banque mondiale.

Après tout, M. David Lipton du Fmi a estimé que le manque d’économie d’échelle devrait conduire les différents pays à s’orienter vers l’interconnexion pour exploiter leur potentiel énergétique. Il a promis l’appui de son institution pour ramener les Etats à des taux d’endettement faibles. Mieux encore : « Nous aimerions investir dans des projets bien conçus. Nous aimerions soutenir les réformes des institutions pour améliorer les cadres de gestion des finances et faire en sorte que vos populations vous fassent confiance », a-t-il conclu.

Bachir Sylla, de retour de Tokyo 

 



03/09/2013
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