Le blog de Bachir Sylla

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DECHARGE PUBLIQUE DE DAR-ES-SALAM: BONNES AFFAIRES DANS LES ORDURES*

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la décharge publique de Conakry fait vivre un nombre insoupçonné de « recycleurs d’ordures ». Ces derniers s’exposent à des risques sanitaires évidents, sous le regard indifférent des autorités.

Amadou Sylla, 24 ans, est recycleur d’objets usés. Depuis cinq ans, il vit de la décharge publique de Conakry, à Dar-es-Salam, dans la commune de Ratoma. Son boulot de tous les jours ? Creuser, fouiller dans les montagnes d’ordures que le Service public de Transfert de Déchets (SPTD) déverse là, pour récupérer et trier des objets usagers indispensables à sa survie : vielles chaussures plastiques, boites en aluminium, barres de fer et de cuivre qu’il vend sur place.

« J’ai arrêté mes études en 2007, après avoir échoué pour la deuxième fois consécutive au baccalauréat. Malheureusement, c’est cette même année que j’ai perdu mon père. Je me suis vu obligé d’être plus fréquent ici, pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille », confie-t-il.

Amadou est un des nombreux recycleurs qui bravent au quotidien les dangers du site communément appelé « Combos », déformation du français « Composte ». Un quartier en plein cœur de la capitale guinéenne, où la pollution frappe le visiteur: fumées âcres, poussières et des tas d’ordures qui débordent du périmètre réservé aux déchets solides de Conakry.

Côte à côte avec leurs aînés, plusieurs adolescents, dont le nombre ne cesse d’augmenter, exploitent ce lieu à haut risque. « Tous les jours, on remarque de nouveaux venus (garçons comme filles)», témoigne Ballamodou Condé, contrôleur de véhicules du SPTD, rencontré sur les lieux.

Yakhouba Camara, 14 ans, est élève en 5ème année du primaire. Il profite des jours non ouvrables et des jours fériés, comme ce 1er mai, pour venir fouiller dans les ordures au dépotoir de Dar-es-Salam. Tout comme Amara, il cherche le fer, l’aluminium et le cuivre qu’il vend sur place respectivement à 200 FG, 2500 FG et 5000 FG, le kilogramme.

Les acheteurs sont légions à la décharge publique et aux alentours. C’est le cas du vieux Mamadouba Soumah, 60 ans, qui affirme être sur le site depuis 15 ans. Il dit avoir renoncé à son métier de maçon pour se consacrer à l’achat et la vente d’objets recyclés de la décharge. « Des enfants me vendent les vieux sacs et moi, je les revend aux charbonniers qui viennent s’approvisionner ici ».

Alya Soumah, 15 ans, quant à lui, se spécialise dans la collecte de boites de conserves, qu’il récure avant d’aller les écouler sur le marché du Niger, à Kaloum. « Ces boites de conserves sont très prisées par les vendeuses d’épices », explique t-il.

A « Combos », on rencontre aussi des recycleuses. Fatou Camara fait partie de la dizaine de femmes qui fabriquent des grilles conductrices de chaleur. Ces grilles, un méli mélo de fils provenant de pneus usagés brûlés, permettent aux ménagères d’économiser du charbon de bois utilisé en cuisine. « Nous fabriquons une centaine de grilles par jour. Nous les vendons à 800 FG, 1000 FG et 1500 FG, suivant la qualité », confie Mme Camara.

De nombreux Conakrykas utilisent les produits recyclés de la décharge publique sans connaître leur provenance. Qu’ils soient hommes ou femmes, jeunes où vieux, les recycleurs de la décharge publique de Conakry ne sont pas prêts à quitter volontairement les lieux. Certains d’entre eux minimisent les risques sanitaires qu’ils encourent.

Le vieux Soumah, par exemple, dit avoir construit deux maisons à Kagbélen, dans la préfecture de Dubréka, grâce à son activité à la décharge. Mieux, il a fini par acquérir la réputation de médiateur dans les conflits financiers et sociaux. A son initiative, une espèce de mutuelle de santé à travers laquelle il mobilise des cotisations pour les cas d’extrême urgences qui se posent aux exploitants du site. « En cas de blessures, de décès ou de tout autre imprévu, nous cotisons pour venir en aide aux personnes concernées », soutient-il.

Les bonnes affaires qui se font à « Combos » ne doivent pas cependant occulter que ce site est dangereux. Les recycleurs qui l’exploitent s’exposent à des réels problèmes de santé : tétanos, paludisme et autres maladies diarrhéiques tel que le choléra, appelé à juste titre maladie des mains sales.

Un projet de transfert de la décharge sur un site à Kagbélen est prévu depuis des années. Sans suite. En attendant, l’urgence serait d’ériger un mur de protection pour séparer la décharge des maisons d’habitations voisines et réduire ainsi les effets néfastes sur la santé de la population avoisinante.

Bachir Sylla

*Ce texte a été réalisé lors d’un atelier de formation de journalistes organisé par International Center For Journalists (ICFJ) dans le cadre de son programme en Guinée.



17/06/2009
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