Le blog de Bachir Sylla

Pharmacies par terre

Le jeudi 6 mai. Midi. Le Dr Bachir Barry croyait accueillir un client ordinaire en voyant le jeune Lounsény Traoré entré dans sa pharmacie, Mam Bobo, à Belle-vue. « Vous m’avez vendu ce médicament, il y a trois jours », dit-il en posant la boite sur le comptoir et d’ajouter : « Depuis, je suis constipé. Mon médecin traitant me dit que c’est parce que c’est une contrefaçon ».

L’interpellation laisse le pharmacien sans voix. Il a derrière lui 35 ans de métier. « Je n’ai jamais vendu un faux médicament. Je ne m’approvisionne que chez des grossistes agréés par l’Etat. Je suis de ceux qui combattent les faux médicaments », se défend-il en prenant rageusement son téléphone pour appeler ses fournisseurs de la Pharmagui-Orient.

Incessamment, le Dr Akoy Zoumanigui, directeur commercial de la Pharmagui-Orient est arrivé avec un échantillon d’Amoxidel, le médicament incriminé par le client. Une comparaison rapide a confirmé la validité du produit vendu en Guinée depuis 2000 et a permis de disculper le pharmacien. Cette scène illustre –depuis le démantèlement d’un réseau de faussaires chinois- la crainte, pas toujours réaliste de la population vis-à-vis de tout médicament de fabrication chinoise.

Avec les « pharmacies par terre » et les marchands ambulants, beaucoup de malades ont eu des intoxications médicamenteuses. Favorisant l’automédication, ces structures informelles font de plus en plus de victimes. « Il y a quatre mois, j’ai reçu une femme et deux de ses enfants. Tous les trois se plaignaient de maux de ventre, de vomissements et de vertiges. Au cours du diagnostic, j’ai compris que leurs maux étaient dus à l’ingestion, quelques jours plus tôt d’un déparasitant acheté dans la rue », témoigne le Dr Karanké Camara, fondateur du cabinet médical de Kamelya, dans la commune de Dixinn.

Pour sa part, le Dr Léontine Nialey, chef de service adjoint de la médecine générale du Centre médical communal de La Minière dit avoir soigné une jeune fille atteinte de spasmes sporadiques suite à la prise d’un médicament contre le paludisme. Elle l’avait acheté dans un coin de rue.

La vente de médicaments dans les rues a pris des proportions inquiétantes. Non seulement les marchés étaient inondés de produits contrefaits, mais certains bons produits se retrouvaient entre les mains de non professionnels, ne maîtrisant ni la posologie ni les conditions de conservation des médicaments et de surcroît, ne sachant pas lire une notice ni une ordonnance médicale, a expliqué le Dr Kadiatou Doumbouyah, responsable de la pharmacie du même centre.

Selon le Dr Léontine Nialey, la prise de médicaments de rue expose les patients à une résistance immunitaire, aux contre-indications et au non respect des normes liés par exemple à leurs poids. Elle fustige, par ailleurs, la falsification des dates de péremption par les vendeurs.

Pour le Dr Bachir Barry de la pharmacie Mam Bobo, l’interdiction, à elle seule, ne suffit pas pour enrayer la vente illicite de médicaments. Il faudra non seulement renforcer les contrôles à l’importation, mais aussi à la distribution, pour pouvoir mettre les fraudeurs hors d’état de nuire. Il propose par ailleurs au gouvernement guinéen de recenser les anciens vendeurs à la sauvette, en vue d’évaluer, de récupérer et de détruire leurs stocks.