Le blog de Bachir Sylla

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Mohamed Keïta du Comité de Protection des Journalistes : « Les gouvernements qui n’offrent pas de possibilité aux gens de s’exprimer se mettent la corde au cou… »

A l'occasion des Réunions de printemps 2012 du FMI et de la Banque Mondiale, à Washington, nous avons rencontré M. Mohamed Kassim Keïta, coordinateur du plaidoyer pour l'Afrique du Comité pour la protection des journalistes, CPJ, basé à New York. Dans cet entretien exclusif qu'il nous a accordé, ce Malien d'origine  aborde, entre autres,  la réalité des médias en Afrique et la problématique de la protection des journalistes sur le continent noir. Lisez plutôt !

La République : M. Mohamed Kassim Keïta, que faites-vous concrètement dans le cadre de la protection des journalistes en tant que coordinateur du plaidoyer pour l'Afrique du CPJ ?

Mohamed Kassim Keïta: Nous défendons les journalistes à travers l'Afrique qui sont, emprisonnés ou tués dans l'exercice de leur métier. Nous venons à leur secours aussi s'ils sont contraints à l'exil. Notre assistance est financière, juridique et même morale. On est un groupe de pression. Donc, on utilise les médias. Notre conseil d'administration regorge aussi de grands journalistes. Nous menons des missions auprès de hauts responsables de gouvernements, pour justement, avec nos revendications, défendre nos collègues par solidarité.

Quelle est précisément la situation des médias en Afrique que vous avez au niveau selon le  CPJ ?

La situation n'est pas bonne. Malheureusement s'empire. Il y  a vraiment très peu de pays en Afrique où la presse s'épanouit. Il y a notamment le Niger qui, après la transition politique, est un bon exemple. En Guinée, ça va aussi un peu, avec la transition démocratique. Généralement, le changement dans la bonne direction c'est toujours à l'issue d'un changement de régime. Le leadership laisse à désirer. Dans beaucoup de pays, les pays sont sous d'énormes pressions. Durant la dernière décennie, c'est de l'Afrique que le plus grand nombre de journalistes ont été contraints à l'exil. On a dénombré plus de 360 journalistes contraints à l'exil entre 2001 et 2011. Et la plupart venaient de la Corne de l'Afrique : Ethiopie, Erythrée, des pays où il y a des conflits, de l'oppression comme le Zimbabwe.

Quels sont les progrès que vous avez eu à noter pour le cas de la Guinée ?

En général, au niveau du cadre juridique, il y avait une tentative de dépénaliser les délits de presse, d'installer un nouveau régulateur des médias en Guinée. Les lois ont été votées, mais elles n'ont pas encore été mises en application. En fait, c'est un demi-progrès, qui va heureusement dans la bonne direction.

Les investissements chinois dans le secteur des médias en Afrique vous inspirent quoi ?

Les investissements  chinois en Afrique touchent aussi le secteur des médias. Depuis cette dernière décennie, la Chine et l'Afrique entretiennent une nouvelle coopération au niveau des médias d'Etat. Plus de 200 journalistes des médias d'Etat africains ont été déjà formés en Chine. Le propagandiste du Parti communiste chinois continue de faire le tour de l'Afrique. Dans ses déclarations, il dit souvent que la Chine veut aller en Afrique pour déployer un ordre nouveau, de l'ordre de la presse gouvernemental, pour écrire exclusivement des bonnes nouvelles sur les projets de développement chinois en Afrique. Il accuse l'Occident de continuer de faire des reportages tendancieux contre la Chine. Actuellement, l'agence chinoise d'informations a plus de 22 bureaux à travers l'Afrique. Donc, elle domine, parce que les autres agences occidentales n'en ont pas autant. C'est donc, un déploiement important de la Chine. Le Gouvernement chinois promet de déployer 100 mille  journalistes et hommes de médias chinois à travers le monde. Tout cela est une véritable stratégie pour contrer les reportages des médias occidentaux. Ce qui est dangereux, c'est qu'avec ça, les Chinois veulent s'assurer que le traitement médiatique de leurs activités en Afrique ne sera que positif. Donc, les plaintes des populations locales, avec l'invasion chinoise, notamment dans le marché informel, ne seraient plus portées à la connaissance de l'opinion nationale et internationale.

Qu'est-ce que des institutions financières internationales comme la Banque Mondiale et le FMI peuvent faire dans le cadre de la protection des journalistes ?

En tant que bailleurs de fonds de beaucoup de pays africains, ces institutions ont un rôle important à jouer. Elles peuvent aider à construire toute une coalition avec la société civile, la presse, les acteurs nationaux, pour vraiment renforcer l'idée qu'on ne peut pas de développer sans une presse libre. La censure, la répression date de l'autre siècle. Les événements en Afrique du Nord ont prouvé que les plaintes des populations sont les même partout en Afrique, ce sont les mêmes tensions socioéconomiques. Les gouvernements qui continuent d'ignorer ces tensions, qui n'offrent pas de possibilité aux gens de s'exprimer se mettent la corde au cou, parce qu'au long terme, ils créent une sorte d'instabilité ou de risques d'instabilité dans leur propre pays.

Un dernier mot à l'intention des journalistes africains…

Je conseille les journalistes africains d'être solidaires. Il ne faut pas être isolé. Il y a beaucoup de partenaires étrangers qui veulent aider les journalistes du continent. Il faut le savoir. Très souvent, des journalistes me demandent comment avoir des formations. En fait, le CPJ ne fait pas de formation. Mais il y a d'autres organisations qui le font. On est actuellement dans un monde de l'information, il ne faut plus être isolé. Quand quelqu'un est en danger, il faut que tout le monde le sache, il faut alerter l'opinion nationale et internationale. Les leaders politiques ont peur de l'opinion internationale.

 

Propos recueillis à Washington

Par Bachir Sylla, envoyé spécial



08/05/2012
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